Chapitre V
— Votre ambassadrice à NY Station ? Mais vous vous moquez de moi ? Ou des honorables membres de la Commission de surveillance ? Ils apprendront vite que je n’étais qu’une danseuse de cabaret, une prostituée occasionnelle. Vous serez suspecté de persiflage ou d’impudence. Et d’autre part vous prenez des risques ! Je reverrai Lien Rag et peut-être lui révélerai-je que Jdrien est entre vos mains ?
Le Kid allait et venait dans le petit compartiment de Yeuse. Elle occupait un quart de voiture mais il trouvait que c’était petit, confiné. Pourtant elle avait su le meubler de façon agréable, en style rétro. Il y avait des lampes amusantes, des imitations de tissu d’autrefois, des peaux de phoque artificiellement bouclées.
— Vous avez la chance de devenir notre première ambassadrice. Jusqu’ici nous n’avions que des agents commerciaux. Vous flatterez la commission de surveillance et d’application des Accords de NY Station. Vous êtes jolie, élégante, cultivée. Ils seront à vos genoux.
— Vous ne craignez pas que Lien et moi…
— Je détiens son fils et, de toute façon, il finira par l’apprendre.
— Pourquoi le détestez-vous ?
Le Kid haussa les épaules et se remit à marcher de long en large :
— Parce que justement il est le père véritable de cet enfant que j’adore mais qui ne voit pas mon affection. Il ne rêve que de Lien Rag.
— Rendez-le-lui.
— Acceptez-vous ma proposition ?
— Je dois vous répondre sur-le-champ ?
— Non, mais d’ici quarante-huit heures. Vous aurez un train privé, une escorte, du personnel. Vous arriverez là-bas comme la représentante d’une grande Compagnie.
— Vous me voulez fastueuse ?
— Non, mais assez représentative pour faire voir que nous existons et que dans dix ans nous risquons d’être les plus puissants.
Devenait-il mégalomane, ce petit homme qui des années durant avait fait l’Aboyeur devant le cabaret Miki ? C’était alors le confident et l’ami de tous. Il avait été souvent merveilleux dans des circonstances difficiles mais désormais son projet l’enfiévrait comme un mal mystérieux et il ne serait jamais plus le Gnome, seulement le Kid.
— Vous rencontrerez Lady Diana.
— Elle me méprise et je la hais. Je lui dois une somme fabuleuse.
— Vous aurez l’immunité diplomatique.
— Vous croyez que ça la ferait reculer ?
— Nous avons besoin d’elle. Titan a besoin de turbines énormes que l’on ne trouve qu’en Panaméricaine. Il faut qu’elle accepte de nous en vendre. Au moins deux, même une seule que nous essayerons de copier quand notre première aciérie sur rails fonctionnera là-bas dans l’Est. Vous devez y aller, Yeuse. Je n’ai que vous et vous ne me trahirez pas.
— Je vais commettre des sottises, manquer d’expérience.
— Ça ne fait rien. Vous direz que l’an prochain nous doublerons notre production d’huile de baleine. C’est-à-dire deux millions de tonnes et sur cette terre privée d’énergie ce sera comme ouvrir un coffre plein de pièces d’or, croyez-moi. Vous leur direz que notre Centrale Titan sera, une fois terminée, la plus puissante du monde. Ne lésinez pas sur ce genre d’informations. Nous ne pouvons encore nous attirer trop d’ennuis parce que nous sommes éloignés, hors de portée. Peut-être qu’un jour, comme le pense le Mikado, Lady Diana ou ses successeurs nous enverront leur flotte puissante, mais pas avant des années. Et nous allons nous aussi renforcer notre puissance énergétique. Nous trouverons d’autres Titans, nous créerons d’autres centrales thermiques. Il y a un troupeau de cent millions de baleines qui transitent sans arrêt du nord au sud et du sud au nord. Ils ne le savent pas car elles passent justement chez nous. Je vais vous faire apporter de la documentation, des photographies, des films. Ils découvriront cette ville avec ses dômes multiples. Des bactéries sont en train de nous en tisser de superbes pour remplacer les structures gonflables.
Il s’immobilisa devant elle :
— Yeuse, tu es mon amie, ma seule amie, tu ne vas pas refuser, dis ?
Surprise, elle découvrit des larmes dans ses yeux, détourna la tête. Sa seule amie, vraiment ? Cette confidence la troublait et elle aurait voulu lui dire une parole affectueuse.